• Le culte de l'ignorance

    L'autre grand problème des mouvements dancehall et gangsta rap , problème qui a déja été soulevé par des personnalités aussi diverses que le cinéaste Spike Lee , le comédien Bill Cosby ou le dessinateur satiriste Aaron McGruder , auteur de la série The Boondocks , c'est le fait qu'il valorise l'ignorance et la bêtise auprès de la jeunesse , tout en glorifiant l'argent et les possessions matérielles.

    Le monde tel que nous le présente ces chanteurs est un univers ou seul compte le fait de s'enrichir pour pouvoir s'acheter des grosses voitures , des vêtements de marque et des femmes (qui à leurs yeux sont un produit de consommation comme un autre) , où la sensibillité et la tendresse n'existent pas ( car indignes des "vrais hommes") et ou l'on règle les conflits à coups de "gun" . Comme autrefois Mesrine , ces gens pensent en effet que le premier qui tire a a raison.

    Nous sommes, on le voit, assez loin des préocupattions sociales des pionniers du rap...

    Dans le gangsta rap tout comme dans le dancehall , l'intelligence est ridiculisée : seule la force brute et la violence sont valorisées. La lecture ? "Un truc de fille ou de pédé" (il faudra qu'on m'explique le rapport...)

    Spike Lee a un jour comparé les rappeurs modernes aux acteurs des minstrels shows , ces spectacles racistes qui existaient autrefois en Amérique, ou des Noirs faisaient le pitre pour amuser un public blanc , dans un décor de plantation, renforçant ainsi les préjugés et les clichés.

    Lee n'a pas tort. Car les rappeurs d'aujourd'hui et leurs homologues de la mouvance reggae-dancehall jouent exactement le même rôle aujourd'hui.

    Ces individus ne sont pas des révolutionnaires , mais tout au plus des clowns. 


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    Brûlez les batty boys

     

    L'autre versant de ce "virilisme" exacerbé est la haine des personnes LGBT , ou batty boys , comme on les surnomme péjorativement là-bas ; haine qui culmine parfois en de véritables appels aux meurtres : la mouvance dancehall , très populaire en Jamaïque, aux Antilles Françaises et dans la communauté afro-antillaise parisienne, s'est particulièrement illustrée dans ce domaine : on se souvient de Sizzla invitant le public à assassiner les homosexuels ( " Bute les pédés, mon gros flingue va tirer... Pan ! Pan ! Les pédés doivent être mis à mort..." ) ou des délires haineux de Capleton ( " Brûle un pédé / Saigne un pédé" )

    Ce dernier, membre de la secte fondamentaliste Bobo Ashanti , est d'ailleurs devenu un personnage influent en Jamaïque : à telle enseigne qu'il se fait maintenant, dans un accès de sotte mégalomanie, surnommer " The Prophet" : tout un programme.

    On pourrait penser que ce ne sont que des mots, que c'est certes idiot et discriminatoire , mais sans grande importance ; on se tromperait. Les effets nocifs de cette propagande homophobe se font en effet sentir dans la réalité jamaïcaine : c'est ainsi qu'un jeune gay à été assassiné par d'autres jeunes, qui sortaient justement d'un concert de dancehall ; c'est ainsi que des lesbiennes sont de plus en plus victimes de viols destinés à " les remettre dans le droit chemin " ; c'est ainsi qu'un garçon du nom de Nokia Cowan, de Kingston ,se noya en se voulant échapper à un lynchage .

    En 2004 , Brian Williamson , militant et fondateur de J- Flag , l'une des rares associations LGBT de Jamaïque, était assassiné à son domicile. L'année suivante, ce fut au tour du militant anti-sida Steve Harvey de tomber sous les balles des assassins.

    Voilà le lamentable bilan du mouvement dancehall , mouvement qui s'exporte aux Antilles Françaises , ou les provocations minables d'Admiral T ou de Krys, qui copient servilement leurs modèles jamaïcains , font fureur auprès des imbéciles.

     

    Courageux mais pas téméraires

    Pour justifier leur homophobie et leur haine des femmes , les "artistes" de ce mouvement , évoquent souvent leur "courage" : ils osent en effet dire ce qui n'est pas "politiquement correct" .

    On pourrait gloser sur ce "courage" , très particulier qui consiste à reprendre des opinions hélas partagées par de trop nombreuses personnes, ainsi que sur cet anticonformisme qui consiste à être d'accord avec la majorité (ce qui ne manque pas de sel, convenez-en).

    Mais on peut aussi s'étonner de ne voir cette bravoure à l'oeuvre que quand il s'agit de ces deux thèmes. Sur des sujets politiques ou sociaux autrement plus graves, le silence de nos héros indomptables est assourdissant.

    On attend toujours une chanson d'Admiral T sur le scandale du chlordécone, par exemple . Et n'oublions pas que lors du conflit qui secoua la Guadeloupe , pas un de ces révolutionnaires d'opérette n'ouvrit la bouche pour soutenir les manifestants.

    Rêvons un peu... Imaginons un monde où les chanteurs de dancehall dénonceraient de vrais abus, comme  les pratiques du personnel politique antillais par exemple... Mais  trêve de songes stériles. Une telle charge ne viendra jamais.

    Faut-il mordre une main, qui, demain, peut apporter la pâtée sous la forme de juteuses subventions ?

    Non, mieux vaut se coucher, enfiler sa laisse , et réserver sa "bravoure" pour des cibles moins en vue.

    Ainsi raisonne le chanteur de dancehall, du fond de sa niche.

     


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    Le hip-hop (et les mouvements qui lui sont associés, comme le dancehall) passent pour révolutionnaires et anticonformistes ; une réputation autrefois exacte , mais aujourd'hui largement usurpée.

    Non content d'avoir , (à l'exception peut-être de certains artistes underground et de la scène de l'abstract hip-hop) renonçé à toute volonté de création ou d'innovation , ces mouvements sont passés, pour paraphraser Guy Hocquenghem, du col Mao au Rotary.

    Depuis une dizaine d'années en effet , le discours hip-hop et dancehall a glissé, petit à petit et de façon quasi-imperceptible , de la contestation au conformisme, d'un discours social et engagé à un ahurissant éloge de l'argent et des valeurs matérielles , des idées de révolte à l'idéologie petit-bourgeoise la plus réactionnaire.

    Les artistes d'hier se sont mués en petits entrepreneurs , dont les audaces fort peu audacieuses sont calibrées pour faire vendre et dont la fausse insolence n'égratigne jamais les mains susceptibles de les nourrir.

    Les femmes à la maison

    L'un des traits les plus frappants des artistes de cette mouvance est leur misogynie , misogynie d'ailleurs assumée sans le moindre scrupule.

    Pas une seule chanson où les filles ne sont pas qualifiées de "pute" ou de "salope" , et les clips glorifiant le proxénétisme et montrant des femmes tenues en laisse sont innombrables.

    Si toutes les femmes ont droit à ces tendres qualificatifs et à ces traitements délicats, ce sont cependant celles qui expriment leur volonté d'émancipation et/ou réussissent mieux qu'eux qui attisent le plus la haine de nos fins poètes de banlieue ; à leurs yeux en effet, une femme libérée est une atteinte insupportable à leur virillité, une menace à éliminer . Un état d'esprit qu'ils contribuent à propager et à maintenir dans les cités.

     

    Et voilà comment des artistes qui se disent rebelles se révèlent être, en réalité, les tenants du patriarcat le plus archaïque. Et l'on s'étonne après cela qu'un Orelsan puisse déclarer, à propos de son ex-compagne : «J'te déteste, j'veux qu'tu crèves lentement/ j'veux qu'tu tombes enceinte et que tu perdes l'enfant» ou la menacer de "l'avorter à l'opinel" (dans le clip "Sale pute" )

    Mais le plus beau, c'est que certaines rappeuses donnent elle aussi dans la réthorique machiste, comme par exemple Diam's :

    "J'oublie pas celles qui nous déshonore,
    Risée des gars gore
    Des ragots et du sexe hardcore
    Celles qui ont réussi à tromper leurs aînés
    Ces traînées qui ont perdu leur virginité sans aimer
    J'suis pas porte parole des femmes du mouv ' moi"

    Dans l'esprit de Diam's en effet , une femme se doit d'être sous la surveillance de ses "aînés" , et une jeune fille qui a le culot d'avoir des rapports sexuels sans aimer son partenaire n'est bien entendu qu'une traînée. Sans doute voudrait-elle qu'on distribue des ceintures de chasteté à la supérette du coin.

    Avec une telle vision des rapports homme-femme , on comprend mieux les raisons qui l'ont poussée à faire un duo avec cet autre grand progressiste qu'est Admiral T...


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    Jean Ferrat s'est éteint le 13 mars dernier. Il incarnait une figure hélas en voie de disparition dans la scène musicale contemporaine, encombrée par les braillards et les poseurs : celle du chanteur intellectuel et engagé, qui a un vrai regard sur la société, une vraie vision critique, de vraies indignations, qui ne doivent rien à une volonté de promotion : Ferrat était un humaniste sincère.

    Et parfois visionnaire : dans cet entretien avec Jacques Chancel  , il pressentait l'avènement de la télé-poubelle qui nous envahit aujourd'hui , et il avait, dans sa chanson la porte à droite (hélas toujours d'actualité) raillé la droitisation du PS durant les années 80, annéees du grand renoncement . Il devait revenir sur ce sujet, avec un humour caustique, dans sa chanson Les jeunes imbéciles , hilarante évocation des "repentis" de 68.

    Contrairement à des gens comme Ferré ou Brassens, Jean Ferrat n'estimait pas que certains combats étaient plus importants que d'autres : c'est ainsi qu'on l'entendit  soutenir l'égalité hommes-femmes (La femme est l'avenir de l'homme) et dénoncer (entre autres) l'homophobie dans Le bruit des bottes .

    Mais sa plus belle chanson restera sans conteste Un air de liberté , vibrant plaidoyer anticolonialiste, qui fut censuré à la radio à la télévision, car il y mettait en cause Jean d'Ormesson, alors directeur du Figaro.

    Et même si certains, dans une tentative de récupération, ne craignent pas de réecrire l'histoire et tentent d'enrôler le chanteur à peine disparu dans leurs croisades néo-libérales, ceux qui ont écouté la voix chaude de Ferrat , ceux qui ont été témoins de son engagement, de sa passion, le savent : Jean Ferrat était un véritable homme de gauche.

    Ecouter l'hommage de Là-bas si j'y suis à Jean Ferrat : http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1873/


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